Il a les mains froides, crevées par l'effort, chaque détonation des cylindres lui arrache un grincement de dents.
Ses mains n'ont plus l’habitude de tenir le guidon et le cap.La moto balance encore de courbe en courbe, des siècles qu'elle n'a plus fait ça.
Les biellettes et les amortisseurs en contraintes, les pneus déformés, des siècles qu'elle n'a plus fait ça.
Rouge toujours rouge, le rouge des lèvres du baiser de la mort, éraflé, rayé cabossé, mais rouge toujours, dardé de cicatrices sous titré de grosses balafres.
1000 ans chacun. Ils ont 1000 ans chacun. Toutes ces guerres je te le répète toutes ces plaies, tout ça ne mène à rien.
La moto balance à droite, mord le gravier, dévore l'air arrache le bitume. Il est Smith, il est Wesson, il est Kalashnikov, la boue le sable l'eau de mer, le sang, la merde, ils ne s'enrayent pas, ils ne s'enrayent jamais.
Amorce, compression détonation percussion impact
Amorce compression détonation percussion impact.
Pas de cuir pas de coques, pas d'airbags.
Seulement la foi.
Seulement la vitesse.
Leur vitesse.
Les pneus sont usés et vieux, s'émiettent sur l'asphalte.
Ils sont lourds, râlants d'agonie.
Mais la puissance est toujours là hurlant d'orgueil.
La lumière du soir dont les balles traçantes percent à travers les arbres vient se refléter dans l'aluminium du cadre, les plongeurs de fourche, le métal des leviers.
Les roues sont couvertes de poussière, ils ont roulé dans l'herbe, la poussière du minerai, l'eau et la fange.
Ils sont toujours là.
Après ça.
Ça.
Et ça.
Rien n'atteint la légende, rien n'enlève le gout de la vitesse, ni les femmes, ni la drogue ni la peine.
Ni les courses poursuites, ni l'oppression, ni les cadences tyranniques des usines.
On roule encore plus vite les mains souillées de poussière, les yeux violacés boxés par les cernes.
Non rien, rien de rien, rien n'enlève le gout de la vitesse.
Anachroniques, samouraïs pris entre deux tirs de bazookas, taureau violent indomptable qui de rage cogne contre les falaises dans les gorges.
Archaïques, monstres, gladiateurs, mastodontes d'une autre époque, affutés en vain dépassés par le progrès à l'intérieur du virage.
Incohérence plastique lorsque la moto se couche de toute sa masse sur le ruban flottant de la route.
Technodrome, astronef, vaisseau mère,
Voilés, pas comme les femmes, ni comme les roues de vélos. Voilés comme l'avenir.
Le moteur plein, gavé d'astuces, d'air comprimé, d'essence à gros débits, l'injection éternel métronome envoyant à grands flots le mélange dans les culasses.
Démonter nettoyer limer, ajuster gonfler remonter accélérer, déposer tout le monde.
Démonter nettoyer limer, ajuster gonfler remonter accélérer, déposer tout le monde.
Démonter nettoyer limer, ajuster gonfler remonter accélérer, déposer tout le monde.
Toujours chercher les ultimes chevaux, les ultimes secondes, les ultimes mètres sur lesquels s'estompe toute l'énergie cinétique en bout de ligne droite.
Le 0 à 250 kmh est plus aisé à maîtriser que son contraire.
Freiner, s’arrêter au bout de la ligne, sur la dernière syllabe du mot de la fin.
Sur la dernière latte de tabac qui précéde le filtre.
S’arrêter au tout dernier moment, lorsque les autres ont des chevaux, et pas toi.
Saisir à bras le corps le dragon de la vitesse.
Le stopper dans la poussière du sol.
Atterrir en plein mer avec un mirage.
Les bras gonflés, les avant bras dilatés.
tourner, virer au dernier moment.
La dernière seconde.
Etre le dernier
A freiner.
Rien n'est mieux que ça.