Je pose ma roue avant au niveau de son capot sur la ligne de départ convenue. L'adrénaline m'inonde déjà les vaisseaux des bras, de la poitrine, des jambes, des épaules. J'entends ses cylindres miauler, puis hurler, j'entends sa transmission enclencher sa première, j'ai fait chauffer mes pneus sur la route, les gommes vont accrocher directement, ses phares projettent un halo lointain, ma moto éclaire assez peu, au loin en contrejour de la lumière des lampadaires, les gens amassés sur les bords de la route, presque un tunnel humain, qui dégage vapeur, fumées de joints et de cigarettes, mais ça je n'y pense pas, je ne pense pas du tout.
Lorsque lui et moi partons, mon index et mon majeur gauche libèrent l'embrayage à 9o%, tandis que ma main droite visse la poignée de gaz à 80% pour ne pas cabrer, les roues chaussées en Pirelli entament leur rotation, l'adrénaline se mélange à mon hémoglobine, la roue avant décolle à peine du sol, je ne perds presque aucune miette de mon énergie motrice, le châssis se met en contrainte, la puissance du moteur se transforme physiquement en phénomène mobile par le biais de mes dix doigts, mes deux yeux et mes deux jambes, je suis férocement propulsé vers l'arrière, mes pieds bien positionnés sur les cales pieds me permettent de conserver la position idéale, idéale pour lâcher complètement l'embrayage qui vient taper sur sa butée, j'ouvre les gaz en grand, les 130 chevaux inspirent tous en même temps, deuxième, troisième quatrième, dans un claquement ferme et mécanique. d'un seul souffle la moto se déplace sensiblement plus fort.
Je transperce la pauvre nuit les yeux écarquillés, centrés sur des iris aux pupilles dilatées, traquant le moindre renseignement de la route. Il offre une belle résistance jusqu'au 25 mètres puis la légèreté de la moto prend l'avantage sur la voiture japonaise, je n'entends plus le 'pshiit' de son turbo, Le braquet raccourci n'a eu aucune pitié pour lui.
Une deuxième décharge d'adrénaline se rue dans mes artères lorsque je passe devant les spectateurs et mes amis hurlant à plus de 210 km/h, la cinématique de mes mouvements parfaitement coordonnée, j'atteins les 250 km/h au bout de 900 mètres, la route est vierge de toute lumière au bout de ma pointe de vitesse, les usines déshumanisantes et déshumanisées seules spectatrices de leur millier d'yeux blancs, le bruit qui désormais me succède est encore échancré dans les tympans de la foule lorsque l'Aprilia soupire un râle de chaleur hydrocarbure pour me remercier.
Dans le silence et l'obscurité, elle et moi, nous vainquons.