Encore 1000 ou 2000 bornes et j'aurai quelque chose.
L'Aprilia tord chacune de mes fibres musculaires avec un sadisme non dissimulé. Chaque virage éprouve résistance, force et souplesse. Sous mon casque j'écris quelques lignes dans ma tête qui rejoignent les mots noirs que je griffonne quand je me lève en pleine nuit. Je tiens quelque chose en plein sommeil qui disparaît une fois les yeux ouverts.
J'ai quelques pièces de puzzle. Encore 1000 ou 2000 bornes et j'y verrai plus clair.
Peut être que si j'écris les autres reviendront. Peut être que s'ils roulent pour aller quelque part, je ne serai plus seul à 230 km/h.
Il faut un pèlerinage, une quête qui ait du sens. Battre le vent, l'ombre et les soupirs, c'est devenu notre pain. On ne roule plus que pour aller nulle part.
On n'est plus qu'une poignée de ça.
De mecs totalement détériorés par la passion.
On roule pour s'affranchir du désir, de la manière la plus lapidaire et la plus féroce qui soit. On roule comme on tire sur une clope les lèvres blanchies par l'effort de succion.
Sans déguster, sans savourer. Les récepteurs nerveux tendus vers le stimuli, l'adrénaline.
Rouler comme nous, c'est cacher sous sa langue la clé de ces foutues menottes.
La méditation, se concentrer sur un point pour que l'esprit trouve la paix. Derrière le guidon, c'est ce qui se passe, le point de fuite de la perspective captive mes iris, y'a plus que ça qui compte. Et tout le reste trouve le repos. Au bout d'un certain temps, la terre et le temps cessent de se déplacer par rapport à nous, pour se déplacer avec nous.
Je te l'ai déjà dit, la moto roule bien plus vite que les soucis, les galères et l'ennui. Sur la moto, on grandit encore. En vérité sur nos motos, on est devenu des hommes.
Le cuir dissimule les fêlures que nos rêves de jeunesses arborent.
La moto nous rend éternellement jeunes, éveillés, désinvoltes.
Sur nos motos on ne voit pas nos mains déformées par nos putains de boulots.
Ni les rides profondes qui cisaillent nos faciès, celles au fond desquelles le spleen a fait son lit.
Sur nos motos, on a encore du courage.
Parce que la fin de toute vie se trouve dans l'inertie. Et si tu ne bouges plus, tu finis par crever.
Nous fumes tellement, nous sommes si peu. Ils ont refusé de bouger, ils sont restés, dans les rails, entre les murs, les dettes ou les barreaux. Appelle ça comme tu veux.
On est voués à l'extinction, mais pour l'heure on vit encore. Archaïsmes d'une époque où les mecs vivaient encore à l'ombre des capots de voiture, au frais des ballades crépusculaires sans casques, les mains tachées d'essence. Mais comme les samouraïs décimés par les fusils, ça fait mille ans qu'on ne fait que la guerre.
Et tant que les cylindres s'ébrouent. Tant que la foi, l'orgueil et l'espoir nous font gonfler le torse, il n'est pas vain de résister. Car notre existence est légitime. Et que notre quête ne connaît pas la panne de sens si on l'abreuve de convictions.
Encore 1000 ou 2000 bornes et j'aurai quelque chose.
Notre cause vaincra.
Mathieu Pianetti
2014
