Bonsoir
J'ai reçu mon radiateur d'huile aujourd'hui, il fut sans hâte monté cet après midi, dans l'échoppe de mon précieux préparateur, dans cette ruelle du haut Faubourg.
Parée de sa jante Brembo dorée, redressée au jon, dévêtue de ses deux disques de freins, complètement nue exposée à la pure vitesse, le bracelet droit orphelin de son levier pour éviter les réflexes bloqueurs de plaquettes, un coup de démarreur, et le moteur s'ébroua, ronronnant dans son huile neuve et brune, un peu chahuté par ce putain de coup pris à l'échappement, la voix rauque enrouée, les murs tremblaient, les clés vibraient au dessus de l'établi, la GSXR au fond aussi, l'Aprilia était là, belle et balafrée, une beauté brute, belle comme seules le sont les femmes de caractère, lorsque la vie commence à esquisser de douces rides sur leurs délicieux contours.
Au creux des rues du vieux quartier, sous des lampadaires en panne, en funambule sur ses jantes propres et ses pneus encore tachés de la terre du Ventoux.
Je reviens à la vie comme un naufragé du radeau de la méduse- une seule rotation de la poignée de gaz, et la belle me susurre aux entrailles de la laisser se dégourdir les pattes, gaz en grands sur l'antique route de la plage, une fraiche nuit d'hiver, perçant l'obscurité avec mes petites veilleuses, la route légèrement éclairée par le halo spectral et anonyme des usines à cancers, cramponné aux demi guidons, je chevauche à nouveau la bête, les jarrets ployés, le souffle chaud, les muscles bandés, exhalant des vapeurs diaboliques sur le velours et l'antimatière nocturne qu'elle et moi à la vitesse des ombres et des souffles déchirâmes violemment.