Il avait voulu s'élever. Il avait créé sa propre légende, conçu sa propre stature. Il n'avait simplement voulu s'élever. Il était rapide déjà depuis sa folle jeunesse et ses courses de rues, lorsqu'il n'était qu'un gamin espiègle et crapuleux qui rigolait constamment sous son casque des sales tours qu'il jouait.
Il avait appris seul, au feeling, à l'instinct, il était un animal, sa moto était humaine.
Il y avait cru, en son triomphe, et ils avaient cru en lui.
La discipline de fer à laquelle il se pliait jouait pour lui, il s'était entrainé à sa manière, et transpirait la confiance.
Mais lorsqu'il courut il comprit. Il comprit que son 'autodidactisme' l'avait entrainé trop loin, vicié qu'il était de piloter 130 chevaux les épaules au ras du sol. Lorsqu'il vit partir les motos de devant il ne put rien faire, parce qu'il était déjà à fond, et que sa moto hurlait d’arrêter de lui lacérer l'échine.
Il n'avait pas peur, une tête brulée qui se disputait avec sa machine, une machine qui roulait sur deux roues, en travers dans tous les virages parce qu'il refusait de déhancher et qu'il avait acheté des pneus d'occasion. Les adversaires le regarder se battre, au ras du bitume, désarçonné par sa machine.
La moto se cabrait, se tordait, ruptait, souvent ses fesses décollaient de la selle, mais il réussissait toujours à la récupérer et avec un orgueil certain, il arrivait toujours à freiner plus tard que les autres et à enfoncer sa fourche dans l'asphalte au moment où personne ne s'attendait à ça. Mais malgré tous ces efforts, il peinait au chrono et même à fond son prototype subissait le terrible affront de fermer la marche , et son pilote de subir, pour la première fois de sa vie, l'affront du dépassement par l'extérieur.
Puis il le fit.
Il était plein angle sur l’extrême bord de ses pneus, il discernait les microsillons tapissant le goudron, il fit glisser ses fesses et bascula à coté de la moto, il entendit 'croooooooooc', c'était le bruit de son genou qui, alors que le soleil déclinait rendait enfin ses coups à la piste vicelarde. Ici il comprit que lui aussi il pouvait, ici il comprit qu'il était de la même race qu'eux, ici il comprit qu'il pouvait devenir l'intouchable qu'il rêvait d’être. A partir de cet instant là, il ne fut plus dépassé par quiconque, parce qu'il avait pour lui l'alchimie avec sa chimère, l'amour de ce qu'il faisait, ses bras gonflés, qui cassaient des tiges filetées au goulag, menaient la lourde motocyclette avec autorité et douceur, du bord de la piste, les spectateurs virent une brute déhancher gauchement d'une imposante machine, se jeter sur le bitume pendant que son Pirelli arrière décrochait en faisant dribbler la moto, une moto que personne n'avait jamais vu, qui dépassait les 100 décibels au sonomètre, et qui semblait charger un ennemi à chaque entrée de courbe.
Mais à cet instant, plus que jamais, il n'était pas autre chose qu'un gamin espiègle et crapuleux, qui souriait sous son heaume du tour qu'il allait jouer à tout le monde.